Une question se pose dans le siècle où nous sommes
Qu’en croire ? À qui se fier ? Quand on a foi en l’homme…
Doit-on pour ses idées, faut-il pour ses écrits
Remercier la Muse ? Est-ce elle qui s’écrit :
« Hé, poète ! Ho, l’ami ! Tu parleras d’amour
Chanteras la beauté, les saisons, la nature.
Je ne t’inspirerai que des sentiments purs
Et par toi renaîtront les temps des troubadours ! »
Est-ce Calliope chantant d’une voix claire ?
Ou est-ce de Clio, aux secrets populaires ?
Est-ce auprès d’Erato au parfum de violette ?
Est-ce Euterpe jouant un air de clarinette ?
Ou Melpomène qui pleure, gémit, soupire ?
Est-ce de Polymnie, pourvoyant l’éloquence ?
Ou bien de Terpsichore comptant les pas de danse ?
Est-ce grâce à Thalie, forçant mille sourires ?
Ou Uranie montrant le trait de la comète ?
Aux murmures desquelles s’abreuvent les poètes ?
Non je ne crois pas ce délicieux délire.
Il n’y a favori à qui la Muse inspire
De doux vers, bien réglés, balancés et brillants
Comme les cheveux d’or d’un bébé babillant.
Non vraiment, pour ma part je n’entends de message
Divin ni ne suis un canal, un vulgaire passage
Possédé par les dieux. Et pourquoi ? J’ai deux mains :
La technique est mon art, et cet art mon dessein.
C’est donc avec ardeur, travail de chair et d’os
Seul dans les profondeurs, en veule Héphaïstos
Abandonné des dieux, rejeté par les hommes
Que je forge des vers, dans une hideuse forme,
Dans un sombre caveau où les lumières meurent
C’est là — dans le feu de la forge, à sa lueur, —
Que je frappe des vers sur l’enclume électrique
Du clavier… à l’écran, crépitant numérique.
Pour redresser ces vers aux rythmes grimaçants
C’est bien là que je frappe leurs défauts rougeoyants
Redressant un à un leurs traits, les caractères,
Je les fais apparaître ou retourne en arrière
Pour rétablir un peu leurs rimes tortueuses
Je les tourne et retourne en martelant les touches,
Retour, espace, entrée, jusqu’à ce que s’affiche
La ligne nonpareille : une lame aiguisée
Dont le tranchant n’est rien sans la pointe rimée
C’est ainsi que j’écroue une épée de syllabes
En paroles d’acier, en dodécasyllabes
Avant de la tremper fumante et incarnat
Dans l’eau dormante des cristaux de l’écran plat.
Toute brumeuse encore, à peine refroidie,
J’en bats à l’instant trois, puis une rhapsodie :
Je ne peux plus cesser ce tourbillon de mots.
Cet acier, tout ce fer, fondus qui aussitôt
Jaillissent sur la page et fondent dans le moule
L’alliage de paroles incessantes s’écoule
Je ne peux étouffer ce brasier qui s’agite
La fournaise du lieu, tout ce feu qui m’habite.
J’en fais des bataillons rangés en enfilades,
Aux lames aiguisées prêtes pour l’estocade
J’en cingle des milliers parées pour cette guerre
Aux cœurs lourds, à la banalité, au vulgaire.
Fabriquer des épées de mots et de doux sons
Est pour moi le moyen de percer de frissons,
Toucher les cœurs sans heurt, caresser le mental,
De ceux qui ont perdu l’espoir fondamental.
C’est ainsi et sans dieu que naissent mes poèmes
Je les dédie bien sûr à tous les gens que j’aime.