Suis-je belle ?
Oui. Non. Je ne sais
pas.
Jeune fille aux
cheveux courts
Il y a mille ans, peut-être plus,
Que je n'ai pas nagé
Dans un autre
Ni plongé mon
regard
Dans la glace,
Ni contemplé le
froid reflet
De ma face
La plus attractive.
Objectivement,
Je ne sais plus.
Comment savoir sans
se découvrir ?
Il y a longtemps que
je ne me suis pas découverte…
Dans un murmure :
« Peut-être jamais. »
Je suis trop
belle.
Je ne me regarde
pas,
Et pourtant c'est
assez me voir
Que leurs yeux en
miroir
Toute la journée.
Obsédés. Je suis
obsédante.
Parce que je suis
obligée
De leur renvoyer
L'image qu'ils
souhaitent
Reluquer.
Je ne suis pas
moi-même.
En fait,
Je suis belle
Sans le vouloir. On
me le dit souvent.
Je suis belle
Des poils
supra-paupière aux cuticules.
À peine sortie sur
l'huis du jour
Déjà victime
De ma beauté :
« hé charmante ! » ; « ho poupée ! »
Délice de faciès
Même par temps
gris,
Dans la brume, sans
phares,
Quels que soient mes
papiers.
Je recule à
l'adresse indiquée plus haut,
Rentre dans une
église
Lieu où seuls se
réfugient
Les vierges
immaculées et les clochards célestes.
Certainement,
Je suis belle
Côte à côté d'un
sans-papier
Qui demande asile ;
le prêtre toujours invisible.
Le contraste est
flagrant :
Délit de pauvreté
Je brille autant
qu'il s'efface,
Gris sous la gomme
de la société
Figure grasse et
sombre
Mine mal taillée
Je crois me voir
dedans
Ses yeux ! Deux
topazes !
Un ange passe et ce
n'est pas moi.
Je suis belle
Peut-être, tu me
diras…
« Et toi là
que regardes-tu ? »
Réflexe de pensée
Mais le pouilleux,
Désintéressé,
S'accroche à mon
regard
Seule sa dignité
Ne sourcille pas
Les yeux droits
Dans les miens
Ils n'ont de tombant
que leurs plis
Pas dans mes seins.
Je suis…
désemparée.
Le suis-je encore,
belle ?
Face à lui…
Qui suis-je
désormais ?
Je l'écoute
Me réchauffer de sa
foi
Poussiéreuse,
rapiécée : « Dieu bénisse ceux qui entrent en ce
lieu. »
Nous deux, étrangers de
quotidien
Égaux dans la
misère
De cœur ou d'esprit
Sa beauté est
spirituelle
La mienne est
physique
Coude à coude, il
me dit :
« J'ai pas
d'amis, je suis seul »
Et moi, pas mieux :
« J'ai trop
d'amis, je me sens seule. »
Virtuelle, digitale,
J'ai cessé
d'exister pour moi-même.
Je n'ai jamais été
belle
Que dans les yeux
des autres.
Aujourd'hui je le
vois,
L'usé a quelque
chose de… Fascinant, fantastique ?
Mais lui il ne l'est
pas
À nos yeux sourds :
faible, rebutant
Sa beauté pourtant
est espoir,
Sa beauté est amour
Il est seul à la
voir
Encore. Mais pour
combien de temps ?
Il me tends ses deux
mains
J'y love avec
hésitation
Les miennes.
Je suis frigorifiée
Bientôt cette
phrase est au passé
Un sourire sort de
moi
Et l'atteint au
visage
Voilà de quoi
chauffer
Cette église et
bien plus.
Il ne demande rien,
Qu'un reflet dans
mes yeux
Je lui donne le
mien,
Il est heureux.
Un jour je serai
belle aussi
Et naturelle avec ça
Au fond de moi,
Je naîtrai,
Une étincelle sera
Qui me fera briller
véritablement, de l'intérieur.
Je serai belle
Rien que pour moi,
J'aurai de vrais
amis
Pas ceux qui… pas
de dénonciation,
Disons plutôt que
Nous parlerons
d'autres choses
Que de ma beauté
Ou mes envies.
Merci.
21-24 janvier 2015