31 janvier 2017

La tortue rouge

La tortue rouge


C'est, veuillez bien le croire,
La créature qu'un homme abandonné mais combatif
Torturé par la faim, la solitude et les échecs successifs,
Tua de rage et de désespoir, un peu sans le vouloir.
Rouge de honte, rongé par le remord,
Genou en terre, il pleura cette mort.


il endura l'événement douloureux ;
Torpeur lui passa lorsque l'animal mystique, phénix ressuscité,
Tulipe sans racines, se changea en compagne de ses doux vœux,
Rousse fleur qui devint et mère et fiancée
Jeune reflet de l'océan envoyé pour guérir

L'amère plaie et son délire.
Torche flambant, sa raison retrouvée s'accommoda de l'illusion ;
Tumultueux animal totémique qui, sans prétention,
Rouvre en nous la réflexion : est-ce une allégorie
néreuse sur le déroulement de nos vies ?




18 janvier 2017

Sofia di vita

Je voulais être une île de cendres
sur les décombres d'une ancienne guerre,
rangée aux combles de la rue inhabitée par ma solitude.

Mais au milieu de cela, tu m'as souri.

Je voulais être une ancre de plomb,
or en guise de plomb j'ai surpris un chant de tendresse
et tes yeux vers moi : sons d'émeraudes, sons cristallins.
Tous les cygnes convergent - vert, le miroir du lac -
puis en sort celle qui file hors de l'eau sous la nue.
Et les cygnes accourent, rident l'eau
tout autour d'eux, et l'amusent - la fée rit -
les ailes brûlent qu'on les lave 
et tissent une robe de plumes.

Maintenant je voudrais plonger dans ses cieux, par delà l'éventail de ses longs cils, ô Sophie !
Maintenant je voudrais boire la lie-cœur,
battant la chamade à ses lèvres dociles, ô Sophie !
Et je voudrais lui dire aussi que je la trouve belle aujourd'hui !
Mais il paraît que l'on dit pas cela à une fille, ô Sophie,
sans s'attirer la méfiance des autres jours.
Alors je la dirai rebelle aujourd'hui
et on se fera la bise.

Je voudrais l'attirer tout contre moi mais je danse sur ce fil, ô Sophie,

de l'inconnue réaction.
Je voudrais aussi qu'elle m'apprécie au point d'exclamation,
qu'on se déclare la guerre inoffensive des armées de compliments,
la guerre non-violente des regards profonds et tactiles,
la guerre sans la guerre, qui ne tue que les doutes que l'on se crée.
Mais je crains encore qu'à ce jeu difficile, ô Sophie,
la peur du ridicule
et celle du risque, ce fantôme qui me suit,
ne réapparaisse à chaque instant de la nuit.
Je voudrais qu'elle et moi nous trouvions un territoire neutre,
c'est-à-dire une terre-île-toit nôtre,
où avancer nos pions fragiles, ô Sophie,
sans besoin de conquête,
mais je redoute la mécanique sans cœur
du papier à musique réglé sur le quotidien.
Je voudrais qu'elle et moi nous fussions nomades, hordiers, crevettes agiles, ô Sophie, squatteurs du même coquillage et non plus crabes carapaçonnés.

Car je suis bien décidé à me couper les pinces, sans une larme de crocodile, ô Sophie
Et à lui ouvrir les portes de chez moi, à cette fille, ô Sophie.

— Miejiriel, janvier 2017

15 janvier 2017

De cire

Les mots « toujours » et « jamais » n'appartiennent qu'aux poètes et aux romantiques. Ce sont deux sires qui ne s'adressent qu'aux poètes et aux romantiques. Et je ne suis ni l’un ni l’autre. Aujourd'hui j’ai renoncé à être poète pour n'être qu’homme parmi les hommes, bougie parmi les bougies.
Apprendre à te connaître a allumé la flamme mais il n'a pas d'étincelle que l'on aperçoit. Apprendre à te connaître est le piège que je me suis tendu car il me préserve de ne t'aimer jamais ; et je vais t'expliquer pourquoi je ne peux t'aimer toujours. 

Les mots « toujours » et « jamais » sont massifs, ce sont des montagnes amassées. Ces sons, deux syllabes : des mots qui élèvent, mais qui créent autant de vide, qui créent des falaises, des pics, des gouffres, des néants sous les pieds des marcheurs solitaires qui croient gravir toujours alors qu’ils s’enfoncent à jamais. 

Aussi je leur préfère des mots moins abrupts. Je préfère des mots aux contours plus doux, les mots de lune tombés en cristaux sur l’instant. Je préfère les mots légers cueillis comme au temps des cerises.
Je préfère l’aujourd’hui avec sa porte ouverte sur toi — mais jusqu’à quand ? Ni jamais ouverte, ni toujours fermée. Ni close à jamais. Mi-close. Je préfère les promesses d'un entrebaillement, une porte « peut-être ». 

Toujours, jamais : deux mots démons auxquels tout le monde rêve et que la plupart craignent malgré tout. Toujours, jamais : deux mots démons auxquels tout le monde rêve et que l’on oublie au réveil. L'exclusion qu'ils profèrent se range au grenier, dans le creux nié de l’inconscient. 

Pour toi, mon amour d'un instant, ils sont hors de portée car la promesse d’un tout se paie d’une patience égale à son intensité. Elle se paie d'un saut dans le vide qu'ils ont jeté. Le temps qui précède « je t’aimerai toujours » est si long qu’il faut le vivre pour le croire et quand, enfin vieux, nous serons encore ensemble par la force d’une promesse d’amour éphémère, sans lendemain, quand, enfin vieux, nous nous tiendrons encore par la main, quand, enfin vieux, nous pourrons regarder en arrière sans rien changer à la fugacité de notre danse, alors seulement nous approcherons de la définition du mot « toujours ». C'est pourquoi je ne peux promettre de t’aimer toujours sans t’avoir déjà aimé tous les jours. 

Je préfère aux temps éternels, la fragile beauté de tes imperfections, et leur hasards aussi, caméléons d’un jour sur l’autre. Je préfère à la noblesse, la poésie du monde réel que l’on trouve dans la chaleur d'un pet satiné, dans la nature d'un maquille-âge mal étalé, dans l’harmonie d’une ride au coin des yeux et là où peu à peu se creuse l’ombre des joues. Je préfère au modèle de perfection cirée pendue à nos yeux, la fragile élégance de ton corps mystérieusement changeant au fil du temps. Je préfère à la piste damée, polie et lissée par trop d'artifices, l'unique hors-piste inégalable de tes courbes. À l'illusion de la teinte, les étoiles d'argent et de neige tombées sur la touffe vivace et la chevelure sauvage. Aux simulacres, le réalisme du temps qui nous rapproche tous…

À choisir je préfère ne t'aimer qu'aujourd'hui, qu'en cet instant plein de vie. Parce que t'aimer toujours est un souhait que j'ai tu. Vois alors qu'il est encore impossible en ce jour premier de savoir si jamais on s'aimera toujours. À choisir je préfère ne t'aimer qu’un battement d’ailes. Parce que son unique onde de choc sera infiniment répercutée sur moi, sur demain, surlendemain et peut-être pour toujours. Qui sait ?

— Miejiriel, janvier 2017