19 novembre 2021

Art poétique

 

Une question se pose dans le siècle où nous sommes

Qu’en croire ? À qui se fier ? Quand on a foi en l’homme…

Doit-on pour ses idées, faut-il pour ses écrits

Remercier la Muse ? Est-ce elle qui s’écrit :

« Hé, poète ! Ho, l’ami ! Tu parleras d’amour

Chanteras la beauté, les saisons, la nature.

Je ne t’inspirerai que des sentiments purs

Et par toi renaîtront les temps des troubadours ! »

Est-ce Calliope chantant d’une voix claire ?

Ou est-ce de Clio, aux secrets populaires ?

Est-ce auprès d’Erato au parfum de violette ?

Est-ce Euterpe jouant un air de clarinette ?

Ou Melpomène qui pleure, gémit, soupire ?

Est-ce de Polymnie, pourvoyant l’éloquence ?

Ou bien de Terpsichore comptant les pas de danse ?

Est-ce grâce à Thalie, forçant mille sourires ?

Ou Uranie montrant le trait de la comète ?

Aux murmures desquelles s’abreuvent les poètes ?


Non je ne crois pas ce délicieux délire.

Il n’y a favori à qui la Muse inspire

De doux vers, bien réglés, balancés et brillants

Comme les cheveux d’or d’un bébé babillant.

Non vraiment, pour ma part je n’entends de message

Divin ni ne suis un canal, un vulgaire passage

Possédé par les dieux. Et pourquoi ? J’ai deux mains :

La technique est mon art, et cet art mon dessein.


C’est donc avec ardeur, travail de chair et d’os

Seul dans les profondeurs, en veule Héphaïstos

Abandonné des dieux, rejeté par les hommes

Que je forge des vers, dans une hideuse forme,

Dans un sombre caveau où les lumières meurent

C’est dans le feu de la forge, à sa lueur,

Que je frappe des vers sur l’enclume électrique

Du clavier à l’écran, crépitant numérique.

Pour redresser ces vers aux rythmes grimaçants

C’est bien là que je frappe leurs défauts rougeoyants

Redressant un à un leurs traits, les caractères,

Je les fais apparaître ou retourne en arrière

Pour rétablir un peu leurs rimes tortueuses

Je les tourne et retourne en martelant les touches,

Retour, espace, entrée, jusqu’à ce que s’affiche

La ligne nonpareille : une lame aiguisée

Dont le tranchant n’est rien sans la pointe rimée

C’est ainsi que j’écroue une épée de syllabes

En paroles d’acier, en dodécasyllabes

Avant de la tremper fumante et incarnat

Dans l’eau dormante des cristaux de l’écran plat.


Toute brumeuse encore, à peine refroidie,

J’en bats à l’instant trois, puis une rhapsodie :

Je ne peux plus cesser ce tourbillon de mots.

Cet acier, tout ce fer, fondus qui aussitôt

Jaillissent sur la page et fondent dans le moule

L’alliage de paroles incessantes s’écoule

Je ne peux étouffer ce brasier qui s’agite

La fournaise du lieu, tout ce feu qui m’habite.


J’en fais des bataillons rangés en enfilades,

Aux lames aiguisées prêtes pour l’estocade

J’en cingle des milliers parées pour cette guerre

Aux cœurs lourds, à la banalité, au vulgaire.

Fabriquer des épées de mots et de doux sons

Est pour moi le moyen de percer de frissons,

Toucher les cœurs sans heurt, caresser le mental,

De ceux qui ont perdu l’espoir fondamental.


C’est ainsi et sans dieu que naissent mes poèmes

Je les dédie bien sûr à tous les gens que j’aime.

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