24 janvier 2015

La jeune fille et le clochard

Suis-je belle ?
Oui. Non. Je ne sais pas.
Jeune fille aux cheveux courts
Il y a mille ans, peut-être plus,
Que je n'ai pas nagé
Dans un autre
Ni plongé mon regard
Dans la glace,
Ni contemplé le froid reflet
De ma face
La plus attractive.
Objectivement,
Je ne sais plus.
Comment savoir sans se découvrir ?
Il y a longtemps que je ne me suis pas découverte…
Dans un murmure : « Peut-être jamais. »

Je suis trop belle.
Je ne me regarde pas,
Et pourtant c'est assez me voir
Que leurs yeux en miroir
Toute la journée.
Obsédés. Je suis obsédante.
Parce que je suis obligée
De leur renvoyer
L'image qu'ils souhaitent
Reluquer.
Je ne suis pas moi-même.

En fait,
Je suis belle
Sans le vouloir. On me le dit souvent.
Je suis belle
Des poils supra-paupière aux cuticules.
À peine sortie sur l'huis du jour
Déjà victime
De ma beauté : « hé charmante ! » ; « ho poupée ! »
Délice de faciès
Même par temps gris,
Dans la brume, sans phares,
Quels que soient mes papiers.
Je recule à l'adresse indiquée plus haut,
Rentre dans une église
Lieu où seuls se réfugient
Les vierges immaculées et les clochards célestes.

Certainement,
Je suis belle
Côte à côté d'un sans-papier
Qui demande asile ; le prêtre toujours invisible.
Le contraste est flagrant :
Délit de pauvreté
Je brille autant qu'il s'efface,
Gris sous la gomme de la société
Figure grasse et sombre
Mine mal taillée
Je crois me voir dedans
Ses yeux ! Deux topazes !
Un ange passe et ce n'est pas moi.

Je suis belle
Peut-être, tu me diras…
« Et toi là que regardes-tu ? »
Réflexe de pensée
Mais le pouilleux,
Désintéressé,
S'accroche à mon regard
Seule sa dignité
Ne sourcille pas
Les yeux droits
Dans les miens
Ils n'ont de tombant que leurs plis
Pas dans mes seins.

Je suis… désemparée.
Le suis-je encore, belle ?
Face à lui…
Qui suis-je désormais ?
Je l'écoute
Me réchauffer de sa foi
Poussiéreuse, rapiécée : « Dieu bénisse ceux qui entrent en ce lieu. »
Nous deux, étrangers de quotidien
Égaux dans la misère
De cœur ou d'esprit
Sa beauté est spirituelle
La mienne est physique
Coude à coude, il me dit :
« J'ai pas d'amis, je suis seul »
Et moi, pas mieux :
« J'ai trop d'amis, je me sens seule. »
Virtuelle, digitale,
J'ai cessé d'exister pour moi-même.

Je n'ai jamais été belle
Que dans les yeux des autres.
Aujourd'hui je le vois,
L'usé a quelque chose de… Fascinant, fantastique ?
Mais lui il ne l'est pas
À nos yeux sourds : faible, rebutant
Sa beauté pourtant est espoir,
Sa beauté est amour
Il est seul à la voir
Encore. Mais pour combien de temps ?

Il me tends ses deux mains
J'y love avec hésitation
Les miennes.
Je suis frigorifiée
Bientôt cette phrase est au passé
Un sourire sort de moi
Et l'atteint au visage
Voilà de quoi chauffer
Cette église et bien plus.
Il ne demande rien,
Qu'un reflet dans mes yeux
Je lui donne le mien,
Il est heureux.

Un jour je serai belle aussi
Et naturelle avec ça
Au fond de moi,
Je naîtrai,
Une étincelle sera
Qui me fera briller véritablement, de l'intérieur.
Je serai belle
Rien que pour moi,
J'aurai de vrais amis
Pas ceux qui… pas de dénonciation,
Disons plutôt que
Nous parlerons d'autres choses
Que de ma beauté
Ou mes envies.
Merci.

21-24 janvier 2015

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